La langue française à l’heure du numérique

Voici quelques articles intéressants scribé par des français avant-gardistes sur l’évolution de la langue franco-française :

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La débâcle du français sur Internet

Publié dans le magazine Books, mars 2014. Par Jean-Louis de Montesquiou

Du Bellay s’indignait déjà, au XVIe siècle, que la France ne tire plus gloire de « l’amplification de son langage ». Qu’eût-il dit face à la déroute du français sur le Web ? Notre langue n’a conquis que 4 % de ce nouveau territoire, où se joue l’avenir des cultures – c’est peu, très peu face à l’anglais (56 %) ; et moins que le russe, le japonais, l’allemand, ou l’espagnol.

Si l’anglais est devenu le latin d’Internet, c’est évidemment parce qu’il en est la langue maternelle. Mais aussi parce que cet idiome, à la syntaxe plutôt facile et composée d’un très riche vocabulaire de mots compacts, convient particulièrement bien au monde numérique. Le français au contraire, réputé difficile, jouit certes du « privilège unique » d’une structure « fidèle à l’ordre direct de la pensée » (disait Rivarol) ; mais ceci le rend mieux adapté au maniement des concepts qu’à la diffusion des informations. Pas de quoi, pourtant, baisser les bras : bien des langues marginales, comme le romani, et même, oui, le latin, ont entrepris une reconquista numérique – mais pas le français. Why ?

Parce que nous n’avons jamais cessé, en dépit des anciennes objurgations de Du Bellay, d’être en la matière « iniques à nous-mêmes ». Pour suivre et décrire le foisonnement d’idées nouvelles et d’inventions technologiques, l’anglais élargit constamment son vocabulaire : il croît de 5 % par an, et viendrait de dépasser le million de mots. Or le français – déjà « de toutes les langues des peuples civilisés du monde (celle) possédant le plus petit nombre de mots », comme gémissaient les frères Goncourt – s’est doté d’une ceinture de chasteté légale et culturelle qui le contient bien en dessous des 100 000 termes.

Il en va de même avec les textes français. Quand la BNF a pris l’initiative de numériser son fonds, on l’a accusée de « brader le patrimoine », et Google, son partenaire dans l’affaire, a été bombardé de critiques techniques, juridiques ou idéologiques. Résultat : sur un total de 130 millions de livres existants de par le monde, les 30 millions déjà scannés par Google sont essentiellement des ouvrages en anglais. En comparaison, le projet intereuropéen Gutenberg n’aurait à ce jour numérisé que 44 000 livres (dont 3 000 peut-être en français), et l’initiative purement française, Gallica, aux alentours de 400 000. Même retard à l’allumage du côté du livre numérique commercial : sur les 2 millions de titres accessibles par Kindle, on n’en compte que 120 000 en français. Quant à l’offre numérique franco-française, elle ne se chiffre qu’« en milliers d’ouvrages », de l’aveu de son principal distributeur.

Une langue est un outil d’expression, mais aussi un territoire de textes. Or, sur le territoire du Web, la position du français n’est vraiment pas à la hauteur d’une langue « à vocation universelle ». Il faudrait mettre les bouchées doubles, comme la Norvège qui entreprend de diffuser en ligne gratuitement l’intégralité de sa littérature, ancienne comme récente. Mais même le plus véloce des lièvres, s’il n’est pas parti à point, restera toujours en arrière. Qu’au moins le français, sur la piste de course numérique, ne se fasse pas rattraper dans quelques décennies par le nynorsk.

 

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